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Dans les années 1850, Degas s’est volontiers pris pour un modèle, peignant quinze autoportraits, qui, dans la plupart des cas, le montrent en buste, et deux fois seulement à mi-corps ; l’autoportrait du Musée d’Orsay est le plus grand, le plus achevé, le plus ambitieux, un véritable tableau plus qu’une simple pochade. On le cite et reproduit souvent comme un bel exemple des débuts du peintre avant son départ pour l’Italie, alors qu’il est encore l’élève de Louis Lamothe et donc dans la mouvance d’Ingres comme semble le prouver le rapprochement couramment fait avec le célèbre Portrait de l’artiste du Musée Condé à Chantilly. Lemoisne, s’appuyant sur deux modestes esquisses figurant dans un carnet utilisé en 1854-1855, le date de ces années là, tout en notant au passage le témoignage d’Ernest Rouart qui « a vu reprendre par Degas le fond vers 1895 » (ce qui aujourd’hui est facilement décelable).
Toutefois la datation de l’œuvre, l’attitude du modèle, l’instrument qu’il tient à la main,le carton à dessin sur lequel il s’appuie, tout comme la référence ingresque si communément admise, autorisent un certain nombre de remarques. Contrairement à Ingres, Degas ne s’est pas représenté en artiste mais en jeune bourgeois, vêtu du sévère habit noir, ouvrant ici sur un gilet marron qu’il ne délaissera que rarement et qu’il arbore, non sans affection, dans les deux célèbres autoportraits des années 1860, le Portrait de l’artiste avec Evariste de Valernes et le Degas saluant contrairement à Ingres, il ne s’est pas représenté en peintre mais en dessinateur, tenant dans la main droite un porte-fusain alors que quatre doigts épais et maladroits de la main gauche se posent sur un carton a dessin d’où dépasse une feuille de papier blanc ( qui semble n’avoir été recouverte par le carton marbré que dans un second temps).
Le porte-fusain peut paraître surprenant car Degas n’a jamais utilisé le fusain dans ses dessins des années 1850; il l’est moins cependant lorsque l’on sait que cette technique était d’un usage courant pour les exercices d’après le modèle à l’Ecole des Beaux Arts ou Degas passa rapidement après avoir été reçu au concours de places le 6 avril 1855. L’exhibition de cet instrument, tout comme la référence (plus que l’influence) ingresque. Ingres que Degas , au même moment, rencontre grâce à ses amis Valpinçon, et dont il copie les œuvres à l’Exposition Universelle de 1855, permettent donc de dater plus précisément l’autoportrait du printemps de 1855. Degas n’a pas encore vingt et un ans et c’est sans doute là, sa première œuvre importante.
La fixité de ses grands yeux noirs interrogateurs, la moue de ses lèvres épaisses lui donnent le même « air » que dans la plupart de ses portraits, disant et dubitatif. On y verrait volontiers la perplexité du jeune peintre face à un enseignement – celui de l’Ecole des Beaux-Arts – qui ne paraît guère lui convenir. Mais l’austérité affichée, la gamme sourde, à peine arrivée de quelques taches blanches, la concentration voulue sur le visage et les mains et la négligence de tout ce qui pourrait être accessoire, affirment d’abord la volonté farouche et que l’on sait tenacement poursuivie de tout sacrifier au métier d’artiste.
Source : Degas. Paris, Réunion des musées nationaux, 1988.